OPINION. « L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE REDéFINIT LE TRAVAIL, PAS SA VALEUR »

Depuis quelque temps maintenant, une question hante les débats économiques : quel sera l'impact de l'intelligence artificielle sur l'emploi ? Nombres d'études sont parues sur le sujet offrant une réponse qui va de 16 % à 68 % pour les plus pessimistes. Dit autrement, ce qui est certain c'est que nous n'en savons rien. D'une part, car il est trop tôt pour anticiper l'impact d'une révolution de cette ampleur, mais, surtout, parce que la question est mal posée.

L'IA n'est pas une équation fermée : c'est une révolution technologique dont les conséquences dépendront avant tout des choix humains qui seront faits, en particulier par les dirigeants d'entreprise.

Comme toute avancée majeure, elle ouvre un espace inédit de transformation. À court terme, l'IA permet d'optimiser les opérations, d'automatiser les tâches, de réduire les coûts. Cette voie est légitime, mais insuffisante, voire dangereuse. Car l'enjeu dépasse l'efficience : il s'agit de redessiner des modèles économiques et de renouveler le sens même du travail.

Oui, l'IA détruira des emplois, c'est un fait et il est crucial de l'anticiper, métier par métier. Les tâches les plus routinières, qu'elles soient physiques ou intellectuelles, seront automatisées, ce qui impactera des pans importants de l'économie, à commencer par l'emploi des plus jeunes. Mais c'est justement en anticipant ce phénomène de manière stratégique et non organisationnelle que les entreprises réussiront à transformer le travail.

La vraie question n'est donc pas combien d'emplois seront perdus, mais quel cap nous donnons à cette transformation. Et pour cela, trois priorités s'imposent.

La première : anticiper les transitions. Dans la banque, par exemple, les fonctions de back-office seront automatisées, mais les métiers de conseil client ont vocation à monter en expertise. Il faut anticiper ces changements et accompagner cette bascule, via des programmes de reconversion ambitieux.

Deuxième priorité : faire émerger de nouvelles activités, y compris dans les secteurs et territoires que l'on croit éloignés de la Tech. Dans l'agriculture, par exemple, l'IA permet déjà à certains exploitants de prévoir les rendements, d'anticiper les maladies des cultures ou de réduire l'usage d'eau et d'intrants grâce à des outils d'analyse prédictive. Cela ouvre la voie à une agriculture plus précise, plus durable, mais aussi à de nouveaux métiers autour de la data agricole, de la maintenance des capteurs ou du conseil numérique.

Troisième priorité : valoriser le travail augmenté. Dans une plateforme logistique, un préparateur de commande assisté par une IA ne se contente plus de suivre une liste. Il reçoit des suggestions en temps réel sur le meilleur itinéraire dans l'entrepôt, anticipe les ruptures de stock grâce à des alertes automatisées, et peut adapter les priorités selon l'évolution de la demande. Il devient ainsi un opérateur de décisions locales, et non un simple exécutant. Ce type de rôles, plus qualifiés et plus responsabilisants, doivent être reconnus, encouragés et valorisés.

C'est aux dirigeants d'impulser ce cap. Car si l'IA peut être un puissant levier de compétitivité, elle doit avant tout permettre aux entreprises d'offrir un meilleur service ou un meilleur produit à leurs clients.

Une IA mise uniquement au service des gains de productivité ne créera ni sens, ni solidarité, ni confiance. Si nous voulons conjuguer plein emploi, innovation et cohésion sociale, alors faisons de cette révolution un projet humain avant d'être un projet technologique.

 _______

(*) Diplômé de l'ESSEC, Arnaud Gangloff a réalisé toute sa carrière dans le conseil. En 2001, il a participé à la création de Kea & Partners, dont il est aujourd'hui le président-directeur général. Il a contribué à faire de Kea & Partners un acteur de référence dans le monde du conseil de direction générale, pionnier et innovant dans le domaine de la transformation des entreprises. Depuis plus de quinze ans, il porte et oriente les travaux de R&D du cabinet en la matière (innovation managériale, entreprise alerte, transformation responsable...).

En tant que dirigeant, il a développé une conviction : au-delà des citoyens, de l'Etat, des acteurs de la société, l'entreprise a un rôle à jouer pour que la société dans son ensemble soit soutenable demain, d'un point de vue social et environnemental. Il a co-signé ou signé plusieurs tribunes en faveur de la loi Pacte, afin de redonner à l'entreprise la place qu'elle se doit d'avoir, en particulier dans le champ de sa responsabilité sociale et sociétale au sens large. Il a également témoigné, aux cotés de 7 autres dirigeants, dans le livre blanc : « Entreprise à mission : 10 bonnes raisons d'y aller » et est un membre actif de la Communauté des Entreprises à Mission. Engagé dans l'action aux côtés de ses clients, il travaille principalement sur des grands projets de transformation à l'international dans des environnements complexes.

2025-07-05T15:58:39Z